En début d’après-midi, Amand poussait la porte de la taverne. Son esprit, toujours un peu engourdi fut réveillé par le grincement de la porte qui déchira le voile séparant la ville, sa vie solitaire et pleine de démons, de son havre d’oubli.
A peine ses bottines sales et usées avaient-elles foulé les planches du vieux parquet de l’entrée qu’un changement lui sauta aux yeux. Une sensation étrange le parcourut. En se dirigeant vers le comptoir, il ne put s’empêcher de ressentir comme un malaise.
A son passage, les habitués avaient pris des airs de badauds fichés au premier rang d’une foule assistant à une procession d’incrédulité. Des grimaces absurdes déformaient leurs visages rougis d’alcool.
Sur son passage, certains détournaient le regard, plongeant leur nez au fond de leur verre. D’autres chuchotaient d’absurdes et inaudibles messes basses. Il le sentait, quelque chose n’était pas comme d’habitude.
Au bout, de l’autre côté de son comptoir, Bud, sourcilla à l’arrivée d’Amand alors qu’il se percha sur son tabouret habituel.
— “Hey Amand! Comment ça va aujourd’hui?” un léger soupir était venu s’échouer à la fin de sa question. Puis, son visage prit un air paternel. En se penchant sur le comptoir il lui chuchota un bref :
— “Tu nous a bien fait peur hier, Amand. J’espère que tu comprends…”
Amand ne put s’empêcher de se sentir blessé par cette remarque. Il regardait Bud, silencieux, l’air perplexe. Il savait ce qu’il avait vu. Il en était sûr. Dans la nuit, il en avait reçu la confirmation même.
Si il savait que Bud et les autres ne pouvaient plus rien pour lui, il sentit une coupable solitude s’installer dans son âme. Il se sentit soudain bien seul, incompris, au fond de son refuge de solitude alcoolisé.
Bud qui continuait de le dévisager finit par se ressaisir. Lui tournant légèrement le dos il attrapa une bouteille et un verre sur l’étagère à l’arrière du comptoir.
— “Enfin, j’suis content de voir que ça va mieux” lança-t-il comme pour se rassurer en lui versant la première rasade de la journée dont le liquide ambré jetais des étincelles au contact du verre encore vierge.
Amand se contenta d’agripper le cristal, il regarda le nectar tourner dans le fond de son verre. Il se mit a faire de petits ronds pour le faire tourner encore et encore. Comme hypnotisé par cette vision il sentit que, peu importe ce que Bud, Zak et les autres en pensaient, il savait que cette nuit, sa vie s’était transformée pour toujours. L’impossible était devenu possible, un nouveau départ était maintenant imminent. Seul le chemin lui était incertain.
L’air de la taverne avec ces odeurs de vieux bois, le bruit sourd des fléchettes s’écrasant sur leur cible, la vieille musique démodée que Zak affectionnait, le clappement léger des cartes sur les tables, le cliquetis des verres et les chuchotements des clients avaient pris un air de renouveau.
Dans l’esprit d’Amand, Warwick une petite ville banale entourée de vergers venait de prendre un air de port du bout du monde. Un repère de voyageurs au bords de l’horizon. L’après-midi solitaire et vaporeuse se présentait maintenant à lui telle la promesse d’un voyage dans les profondeurs des secrets énigmatiques de l’univers.
Bien campé à sa place au bout du bar, son verre levé sur ses lèvres comme pour lever un toast à l’inconnu, Amand savait qu’il ne serait plus jamais le même. Car il avait été témoin de l’impossible, et maintenant, il faisait partie de quelque chose de bien plus grand que lui.
C’est que cet étranger l’avait secoué. Il l’avait touché, effleuré du bout de cette vérité lumineuse qui émanait de ses paroles. Ses mots résonnaient encore et encore dans son esprit. Jusqu’à ce jour, il avait tant de questions qu’il n’avait jamais osé poser. Tant de réponses manquées. Tant de douleurs sourdes qui lui poignardaient le dos et dansaient sur son corps blessé.
C’en était assez, cet étranger avait réussi à lui rendre la détermination qui lui manquait. Perdu dans ses pensées, il fixait le fond de son verre dont il n’avait pas encore bu une seule gorgée. La voix de l’étranger provoquait des échos qui rebondissaient sur les parois de son crâne.
— “Là, au centre de ton cercle, tu trouveras les réponses aux questions que tu n’as jamais osé te poser”
Sa main secouant le cristal en un mouvement cyclique avait formé un petit tourbillon qui l’appelait comme pour l’encourager à renoncer.
L’après-midi avançait, les ombres s’allongeaient sur les murs de la taverne, tandis qu’Amand restait assis là, observateur silencieux du monde qui avait pris une autre couleur. Cet endroit était son sanctuaire, un lieu où les vapeur d’alcool le rassuraient, où il pouvait oublier la désolation jetée dans sa vie, la douleur qu’il avait mis tant d’énergie à fuir.
Soudain, ce même lieu était devenu comme ces endroits dont on part. Le début d’un pèlerinage, d’une quête. Il pouvait maintenant réfléchir au voyage extraordinaire qui se déroulait sous ses yeux.
Alors que Bud servait des boissons et que Zak régalait ses mécènes de contes à la fois mondains et mythiques, il restait assis là, perdu dans ses pensées. Le monde extérieur continuait sans lui, à l’intérieur de ces murs, en ce moment, le temps s’était arrêté, un éternel maintenant où tout était possible.
Et ainsi, alors que l’horloge continuait de coiffer le mur, marquant le passage du temps avec son rythme constant, il se retrouvait à un carrefour. L’avenir qui s’étendait devant lui comme une route sans fin, sinueuse et tordue à l’horizon, l’incitant à la suivre où qu’elle mène.
Ce tableau idyllique, avec ses couleurs chatoyantes prit soudain des teintes plus sombres. Une question, tout de noir vêtue, en robe de magistrat, le visage caché derrière un masque de corbeau fit son entrée en scène et l’esprit d’Amand s’embrouilla.
— “Pourquoi?”
Du haut de son estrade, elle le dévisageait. Elle attendait une réponse, un mot, comme pour tester sa détermination revenue. Pourquoi vouloir s’infliger tant de peine encore et encore? Pourquoi revenir à ce qui est passé? Pourquoi vouloir affronter la réalité. Pourquoi chercher Beth-Sarim?
Et quand bien même il la trouverait, cette ville dont parlait l’étranger, qu’y ferait-il? A peine savait-il ce qu’il cherchait, encore moins savait-il ce qu’il y trouverait.
Cette question venait tout à coup lui rappeler que les voyages sont ainsi, qu’ils vous invitent sans promesse. Cette idée eut pour effet d’accélérer les battements de son cœur qui se mit à taper fort dans sa poitrine. Ses jambes semblèrent le laisser tomber, une sensation d’effroi venait de le parcourir.
— “ça va Amand? Tu n’as pas encore touché à ton verre!”
Bud le dévisageait encore. Il ne répondit pas. Il se mis à hurler à l’intérieur. Son esprit mesurait les implications de ce que Bud venait de lui lancer.
Oui il avait vu l’invisible mais un sentiment d’impuissance l’envahit soudain. Il était incapable de résister à l’appel du voyage et il ne pouvait pas non plus expliquer pourquoi ni même ce qu’il y trouverait.
On venait de lui donner un aperçu du monde au-delà du nôtre, un royaume où les frontières entre la réalité et l’imagination n’étaient pas seulement floues, mais entièrement effacées et à cet instant, il lui était impossible de sortir de la réalité, de retrouver le chemin qui l’y mènerait.
Bud ne comprit pas l’expression qui venait de s’installer dans les yeux d’Amand qui ne lui répondit pas. Il se contenta alors d’hausser les épaules et s’en alla resservir Zak en grande discussion de l’autre côté du bar.
Et comme il restait planté là, à cet endroit qui était devenu à la fois son refuge et son point de départ, il savait que ce n’était que le début. L’aventure lui promettait d’être remplie d’émerveillement, de danger et de découverte mais il n’avait pas la moindre idée pour l’exprimer, il était piégé dans ce monde au delà du monde et le seul moyen de s’en échapper était de trouver Beth-Sarim.
Et, alors qu’il levait le coude pour avaler d’un coup son double bourbon, il décida qu’il se contenterait d’être, d’exister dans l’instant, se reposer dans l’arrière-plan d’une expérience qui avait dépassé les frontières de ce qu’il avait autrefois connu comme la réalité.
Car dans ce monde, et peut-être même au-delà, il était devenu plus qu’un homme. Il était devenu témoin de l’impossible, chroniqueur des mystères énigmatiques qui étaient cachés dans les plis du temps et de l’espace.
Et ainsi, alors que le soir s’approchait, il comprit que son voyage ne faisait que commencer. L’histoire de Beth-Sarim venait de débuter. Alors qu’il fit signe à Bud de lui remplir le verre, il leva à nouveau son verre dans un toast silencieux. Un toast aux vérités qui restent cachées, attendant d’être découvertes par ceux qui sont assez courageux pour les chercher.
Il se mit à rêver que peut-être, avec le temps, il les trouverait. Mais pour l’instant, alors que les paroles de l’étranger résonnaient encore dans les limites de son esprit, il commençait à s’embrumer et se perdre dans les vapeurs d’alcool.
Ainsi, la soirée vint à passer entrecoupée de toasts silencieux et solitaires, de verres levés à l’aventure, à la nouvelle vie, à la rédemption, comme pour se donner le courage d’affronter le voyage qui commençait.
Puis vint la nuit, alors que la porte de la taverne se refermait derrière son dos pour révéler le monde à l’extérieur, que la nuit et le silence l’enveloppaient une fois de plus, il respirait profondément.
L’avenir, à ses yeux, ressemblait à une toile vierge, une page à écrire. Et, prenant congé de la taverne, titubant sur le pavé, il savait que le chapitre suivant de son histoire allait commencer.
Tout comme moi, vous faites certainement partie de ces millions d’humains qui aiment se faire transporter dans des mondes fantastiques qui ont le pouvoir de nous faire vibrer, nous faire peur, nous émerveiller, nous faire rire ou pleurer.
J’ai toujours été fasciné par le pouvoir des histoire. Fasciné par le fait du nombre impressionnant de textes fondateurs, de mythes, de légendes diverses et variées qui depuis l’invention de l’écriture nous ont forgés.
Mon histoire personnelle et familiale ainsi que divers événements que j’ai pu vivre ont créé en moi l’urgence d’écrire et aujourd’hui j’ai enfin décidé de passer à l’acte en écrivant une histoire.
Beth-Sarim est une histoire qui me tient particulièrement à cœur. Les thèmes qu’elle aborde sont, pour moi si universels et délicats à traiter que je me suis tout naturellement tourné vers la fiction. Car voyez-vous, je considère la fiction comme un allié précieux.
En effet, un des super pouvoir de la fiction est qu’elle nous permet d’explorer un hypothèse, un sujet en toute sécurité et liberté. Elle nous permet d’explorer au travers des personnages et des situations les conséquences, les bienfaits ou encore les thèmes universels auxquels nous sommes tous confrontés.
Et cela tombe bien, dans cette histoire, je voulais explorer les thèmes de l’endoctrinement, des croyances et de leurs conséquences. Cette histoire, tente de soulever des questions importantes à propos des groupes sectaires et de leurs conséquences sur la vie de ceux qu’ils emmènent captifs par la pensée.
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